avril 19, 2024

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Afghanistan : Etats-Unis, humiliation et retrait

Et revoilà un hélicoptère américain évacuant précipitamment les derniers diplomates par le toit de l’ambassade des Etats-Unis, comme le 29 avril 1975. La photo de la déroute est en couleurs cette fois, comme il s’agit de l’ambassade à Kaboul et que nous sommes en 2021, mais l’effet reste saisissant. Il y a un mois à peine le président Biden expliquait que les talibans ne sont pas comme les vietcongs et que l’armée afghane pourra résister à leurs attaques. Analyse coûteuse et erronée : financées par le contribuable américain à hauteur de 80 milliards de dollars ces vingt dernières années (68 milliards d’euros), les forces de sécurité afghanes se sont effondrées en quelques semaines, obligeant les Etats-Unis à négocier avec les talibans les termes de leur retrait précipité.

Les Américains seront restés en Afghanistan deux fois plus de temps que l’Union soviétique, et bien plus que les Britanniques au XIXe siècle. Pour Biden, le sort qui attend le peuple afghan, et en particulier celui des femmes sous l’emprise des talibans, n’est pas assez important pour prolonger inutilement une illusion de démocratie coûteuse et improbable, un village Potemkine qui ne trompait personne. Cette débâcle est aussi celle d’une certaine idée occidentale, celle d’une démocratisation forcée de l’autre. Elle aura coûté la vie à des milliers de soldats américains, 2 300 d’entre eux en Afghanistan, et à des dizaines de milliers de civils. Pour l’Europe qui y a cru, c’est une amère désillusion, mais aussi un avertissement pour sa propre sécurité : l’ère de l’interventionnisme militaire américain est derrière nous.

 

Sommaire

30.000 personnes à évacuer

«Plusieurs centaines» d’employés de l’ambassade américaine à Kaboul ont déjà quitté l’Afghanistan, selon un autre responsable du Pentagone. L’aéroport international de Kaboul reste ouvert aux vols commerciaux, a précisé ce deuxième responsable ayant requis l’anonymat. Le Pentagone évalue à 30.000 le nombre total de personnes à évacuer, qu’il s’agisse de diplomates et autres ressortissants américains ou d’Afghans ayant aidé les Etats-Unis et craignant désormais pour leur vie.

Comme la veille, les hélicoptères américains continuaient dimanche leurs rotations incessantes entre l’aéroport et l’ambassade américaine, un gigantesque complexe situé dans la «zone verte» ultra-fortifiée, au centre de la capitale.

Les Talibans ont reconquis l’Afghanistan, prenant en l’espace d’une dizaine de jours les principales villes du pays, et entrant dimanche dans Kaboul à la faveur du retrait des troupes américaines décidé par le président Joe Biden.

 

Donald Trump mis en cause

Mais Joe Biden a reconnu que la prise de contrôle du pays par les talibans avait été surprenante de rapidité. Une façon elliptique d’évacuer la déroute des experts militaires et civils, qui n’avaient pas anticipé un tel scénario éclair, retenant plutôt un calendrier de plusieurs semaines ou plusieurs mois. La responsabilité du président américain est directement engagée en raison de son empressement politique à conclure le retrait. Joe Biden a mis en avant le déploiement en catastrophe de 6 000 soldats, afin d’assurer l’évacuation du personnel civil sur place ainsi que des Afghans menacés, notamment ceux qui ont travaillé pour les Etats-Unis. Joe Biden a promis un usage « dévastateur » de la force aux talibans, si ces derniers tentaient d’entraver ces opérations d’évacuation.

Pour le reste, le président américain a voulu partager le fardeau de la catastrophe. D’abord avec son prédécesseur, Donald Trump, qui avait accepté un retrait total des troupes américaines dès le 1er mai, selon les termes de l’accord conclu avec les talibans à Doha, au Qatar, en février 2020. Joe Biden a rappelé la « froide réalité » de l’alternative à laquelle il a été confronté : mettre cet accord en œuvre ou bien provoquer une escalade dans le conflit, nécessitant une recrudescence de la présence militaire américaine.

De « nombreux échecs politiques »

Dès dimanche, les réactions ont afflué. Sur Twitter, l’ancien directeur de la CIA par intérim, Michael Morell, a jugé que la prise de Kaboul par ces extrémistes n’était « pas le résultat d’un échec du renseignement » mais plutôt celui « de nombreux échecs politiques de plusieurs administrations », notamment celles de Donald Trump et de Joe Biden. « Le renseignement a de loin vu la situation en Afghanistan avec la plus grande précision », a-t-il écrit sur son compte Twitter, relaie ABC News. « L’évaluation du renseignement a toujours été exacte ; ils l’ont simplement ignorée », a confirmé un haut fonctionnaire du Congrès à ABC News.

D’après la chaîne de télévision, les renseignements auraient aussi averti que certains membres des services de renseignement pakistanais soutenaient les talibans durant l’été. Ils les auraient déjà aidés à se former il y a 25 ans. Auprès d’ABC News, un haut fonctionnaire pakistanais n’a pas écarté le rôle qu’a pu jouer son pays dans la victoire des talibans. « Je ne dis pas qu’il n’y a jamais eu de relation [avec les talibans] ou que nous l’avons totalement coupée », a-t-il expliqué à ABC News. Il a toutefois estimé que la défaite des autorités afghanes était due à des « erreurs de calcul américaines ».

 

Effondrement moral de l’armée afghane

Ensuite, Joe Biden a mis en cause de façon rude les dirigeants afghans, « incapables de négocier pour l’avenir de leur pays », qui ont « abandonné et se sont enfuis ». Il a aussi souligné l’effondrement moral de l’armée afghane. « Les troupes américaines ne peuvent et ne devraient pas se battre et mourir dans une guerre que les forces afghanes ne veulent pas livrer pour elles-mêmes. Nous avons dépensé plus de 1 000 milliards de dollars. Nous avons formé et équipé des forces militaires afghanes fortes de 300 000 soldats. (…) Ce que nous n’avons pu leur fournir, c’est la volonté de se battre pour cet avenir. »

Quatrième président à devoir gérer la présence militaire en Afghanistan depuis 2001, devenue au fil des ans un trou noir financier nourrissant une corruption incomparable, Joe Biden avait choisi, après son entrée en fonctions, de faire coïncider le retrait des derniers 2 500 soldats présents en Afghanistan avec le 20e anniversaire des attentats du 11-Septembre. « Après vingt années, j’ai appris dans la douleur qu’il n’y avait jamais de bon moment pour retirer des troupes américaines, a-t-il dit. C’est pour cela que nous y sommes encore. »

Les images diffusées en boucle sur les chaînes d’information – comme celles de talibans paradant en armes devant l’enceinte de l’ambassade américaine à Kaboul – provoquent une crispation bipartisane, dans les rangs démocrates et républicains. « Les terroristes et les rivaux majeurs comme la Chine observent la honte d’une superpuissance mise à terre », a souligné le sénateur républicain Mitch McConnell. Les scènes de panique à l’aéroport de Kaboul illustrent à quel point l’administration américaine a été prise de court. Il y a quelques jours encore, elle négociait avec la Turquie pour qu’Ankara prenne en charge la gestion sécuritaire de ce lieu-clé.

 

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